Friday, October 24, 2003 :::
Les Américains sous-traitent la sécurité au privé
Vous aussi, vous voulez devenir mercenaires ?
Lisez ça :
James Blount donne rendez-vous autour de la piscine de l'hôtel al-Amra, haut lieu de la présence étrangère à Bagdad. Pantalon en lin et polo rouge, les cheveux lissés en arrière, il a gardé le maintien élégant du diplomate de Sa Gracieuse Majesté qu'il fut pendant dix ans au Pérou et au Pakistan, avant de se lancer en 1999 dans les affaires. En Irak, James Blount est un businessman heureux. Ils sont rares par les temps qui courent. Sa société londonienne de sécurité privée, Control Risks Group, lui a confié l'ouverture cet été d'un bureau à Bagdad. Deux mois plus tard, il emploie plus d'une centaine de personnes, anciens militaires ou policiers chargés de la protection de personnalités. «On comble un vide, nous faisons de bonnes affaires», reconnaît-il.
Faute de vouloir assurer la moindre responsabilité dans la sécurité des représentations diplomatiques en Irak, l'Autorité provisoire de la coalition (APC) laisse celles-ci sous-traiter auprès d'entreprises privées, de plus en plus nombreuses à intervenir depuis que les actes de violence se sont multipliés à travers le pays. Plusieurs ambassades viennent de passer contrat avec Météoric, une société sud-africaine. L'APC elle-même et les Nations unies ont signé avec Global Risks Strategy. Quant à la multinationale américaine Bechtel, dont plusieurs contractants ont déjà été tués en Irak, elle a confié sa protection à Amor Group. Tous les diplomates britanniques, abrités au siège de l'APC depuis une attaque manquée contre leur représentation, sont protégés par des privés. Comme les journalistes des grandes chaînes de télévision américaines, comme NBC, entourés d'hommes en armes, ou ceux de l'agence de presse Reuters, escortés par des vigiles non armés.
Incapables de relever le défi de la sécurité, les administrateurs américains d'Irak étendent la privatisation de la surveillance aux ministères vitaux. Ainsi, celui du Pétrole vient-il de confier à la société anglaise Iriny's la protection de ses installations pour un coût de 35 millions d'euros. Le ministère de l'Électricité a fait de même, et d'autres devraient suivre. Les Américains reconnaissent également qu'ils n'ont pas assez de troupes en Irak pour mettre la main sur les dépôts d'armes qui foisonnent à travers le pays – un tous les quinze kilomètres environ, selon un responsable militaire. D'où le recours, là encore, à une société privée, Raytheon, qui vient de remporter un contrat de destruction des armes irakiennes.
Dans les halls des hôtels, les anciens paras, flics ou membres des forces spéciales, crâne rasé et appareils de liaison radio à la ceinture, ont remplacé les militaires américains, qui ne s'exposent plus. Nul besoin de résolution de l'ONU pour débarquer en tant que privé dans le bourbier irakien. La diversité des nationalités est assurée : Anglais, Sud-Africains, mais aussi Belges et Français, dont une vingtaine recrutée par une société basée à Bruxelles. D'anciens légionnaires sont attendus. Leur présence renforce l'impression de paranoïa sécuritaire qui flotte sur la capitale irakienne, hérissée de murs en béton censés protéger des voitures piégées de plus en plus d'hôtels et d'ambassades.
Le coût d'un de ses privés peut atteindre 600 dollars par jour. Une charge supplémentaire pour la coalition : Kellog, Brown and Root, à laquelle l'armée américaine confie les tâches de logistique et de soutien, aurait déjà facturé pour 1,2 milliard de dollars de prestation. Autant d'argent qui ne va pas à la reconstruction directe de l'Irak.
Aux côtes des sociétés de sécurité, de nombreuses firmes de lobbying ont fleuri sur les bords du Tigre, comme New Bridge Strategies, qui vient de nouer un partenariat avec la société d'investigation Diligence 2000, fondée par un ancien de la CIA. Un petit monde où se côtoient ex-ténors du renseignement et politiques proches de l'Administration Bush. Cette privatisation sauvage de la sécurité pose un problème fondamental, estiment certains diplomates. «La sécurité est l'un des pouvoirs régaliens d'un État. C'est donc un acte de souveraineté qui s'en va, un de plus, après la monnaie qui est battue à Londres, la justice qui ne fonctionne pas encore, et la protection des frontières qui reste bancale.» Comment, dans ces conditions, ajoutent-ils, asseoir le pouvoir de la police irakienne, sur laquelle les Américains misent pour prendre la relève le plus rapidement possible ?
::: posted by Tranxenne at 9:04 PM

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